Paul Gauguin avait envisagé de s'installer dans l'Océan Indien

Et si l’artiste avait peint la Réunion ?

Clicanoo 13.12.2002

En mai de l’année prochaine sera célébré le centenaire de la mort dans une île des Marquises de Paul Gauguin. Le célèbre peintre a très longtemps songé à s’installer à Madagascar et éventuellement à la Réunion avant de se décider pour la Polynésie. L’éditeur local Grand Océan axe son prix littéraire 2003 sur ce thème : “Et si Gauguin était venu à la Réunion et dans l’océan Indien ?

Paul Gauguin - Bild: Clicanoo

Et si au lieu de mettre le cap sur Tahiti, Paul Gauguin s’était embarqué pour Madagascar et pourquoi pas la Réunion ? L’hypothèse ouvre des perspectives fascinantes. Quelle aurait été l’œuvre du peintre inspiré par les paysages et les populations de la Grande Île et de Bourbon ? Ce n’est pas qu’un jeu de l’esprit. Paul Gauguin a bel et bien songé très sérieusement à s’installer à Madagascar et pourquoi pas à la Réunion.

Jean-François Reversy des éditions Grand Océan a retrouvé des lettres du peintre où il fait part de sa fascination pour la Grande Île. Paul Gauguin s’est lié d’amitié avec le peintre symboliste Odilon Redon dont l’épouse Camille Falte est d’origine réunionnaise. Elle se trouve être la demi-sœur de Juliette Dodu. Indépendamment de Paul Gauguin, Odilon Redon a tissé des liens très étroits avec Léon Dierx et Marius et Ary Leblond.

En février 1890, dans une lettre écrite au peintre Emile Bernard, qu’il a rencontré en Bretagne à Pont-Aven et dont il est tombé amoureux de la fille, Paul Gauguin décrit très explicitement ses projets. “Irrévocablement, je vais à Madagascar. J’achète dans la campagne une maison en terre que j’agrandirai moi-même, planterai et vivrai simplement. On y trouve des modèles et tout ce qu’il faut pour étudier. Je fonde alors l’atelier des tropiques. Viendra m’y retrouver qui voudra. J’ai pris différents renseignements (tous sans contradictions) entre autres ceux de Mme Redon qui est de Bourbon et qui connaît très bien Madagascar. Avec 5 000 F m’a-t-elle dit, vous pouvez vivre 30 ans si vous voulez.

” LA FEMME MALGACHE A UN COEUR(…)
AVEC MOINS DE CALCULS

La vie est pour rien pour celui qui veut vivre comme les habitants. La chasse seule vous donne facilement la nourriture ,etc. En conséquence je vais, si une affaire est faite, fonder ce dont je vous parle et vivre libre et faire de l’art. Je ne peux vous donner aucun conseil mais de plein cœur je m’adresse à l’homme qui souffre, à l’artiste qui ne peut travailler son art ici en Europe. Si après des efforts, vous ne trouvez aucune satisfaction et que vous soyez dégagé du service militaire, venez me retrouver. Vous trouverez sans argent l’existence assurée dans un monde meilleur“.

En juin 1891, seconde lettre toujours à Emile Bernard. ”Ce que je vais faire c’est l’atelier du tropique. Avec la somme que j’aurai, je peux acheter une case du pays comme celles que vous avez vues à l’Exposition universelle. En bois et terre, couverte de chaume, à proximité de la ville mais cependant à la campagne. Cela ne coûte rien. Je l’agrandis en coupant du bois et j’en fais une demeure à notre commodité, vache, poules et fruits, voilà les principaux agents de notre nourriture et nous finirons par vivre pour rien. Libres. Je partirai là-bas et je vivrai en homme retiré du monde soit disant civilisé pour ne fréquenter que les soit disant sauvages. Et mon pain de chaque jour, j’en mets la moitié exactement à votre disposition. La femme est pour ainsi dire obligatoire, ce qui me donnera modèle tous les jours. Et je vous promets que la femme malgache a un cœur tout aussi bien qu’une française avec beaucoup moins de calculs“.

Le cœur de Paul Gauguin balance alors entre le Tonkin et Madagascar, mais la préférence va tout de même à la Grande Île. ”J’ai pris des renseignements encore dernièrement avec un lieutenant de vaisseau qui y avait séjourné longtemps. Il en ressort ceci que la côte est malsaine, quoique la fièvre jaune y soit inconnue. Mais sur les plateaux élevés, la vie est saine. Quant aux femmes, elles sont comme à Tahiti, douces, etc, du reste beaucoup viennent d’une race de Polynésie. A Madagascar la viande ne coûte presque rien et le gibier est très abondant. Il est vrai que Tahiti est un paradis pour les Européens. Mais, le voyage est beaucoup plus cher car c’est en Océanie. En outre Madagascar offre plus de ressources comme type, religion, mysticisme, symbolisme. Vous avez là des Indiens de Calcutta, des tribus noires, des Arabes et des Hovas, types de la Polynésie“.

Et puis il y a la rencontre décisive et pour finir tragique avec Van Gogh, lecteur de Pierre Loti, fasciné par Tahiti. L’an prochain sera célébré le centenaire de la mort de Paul Gauguin en mai 1903 dans la petite île des Marquises Hiva Oa. Pas moins de 630 ouvrages sont actuellement en préparation preuve de l’engouement pour un peintre dont seulement quelques œuvres ont été vendues à vil prix de son vivant et dont les dessins et sculptures ont été jetées aux ordures après sa mort.

Grand Océan s’associera localement à cette manifestation avec deux conférences. L’éditeur réunionnais en collaboration avec Orphie Éditions et le festival du livre insulaire y consacrera également son prix annuel. Sur le thème : “Et si Gauguin était venu à la Réunion et dans l’océan Indien ?”, les auteurs de nouvelles ou de poèmes en français ou en créoles résidant dans notre île, dans l’océan Indien, en Polynésie française ou encore issus des diasporas indo-océaniques et Pacifique sont invités à adresser leurs œuvres à Grand Océan avant la fin du mois de juin 2003.

Alain Dupuis